Il y a quelques jours, les lycéens en terminale ont passé les épreuves du bac, ils ont eu droit à une dissertation de philosophie. Les sujets de philo sont souvent scrutés par les médias. Comme c’est la première épreuve du bac, et comme la France est le pays de Voltaire, Rousseau et Diderot, on aime bien regarder les sujets qui ont été soumis aux bacheliers.
Pour ma part, cette épreuve de philo m’intéresse aussi, car je trouve que les sujets proposés reflètent souvent des questions qui se posent dans notre société. Et je pense que cela vaut la peine, en Église, d’avoir une réflexion sur les questions que les gens se posent autour de nous.
Nous vivons dans ce monde et non pas à côté du monde. Il y a toujours un risque de vivre dans une bulle chrétienne, alors que Jésus nous envoie dans ce monde pour rayonner de son amour, pour manifester la joie qu’il y a d’être enfants de Dieu. Il nous appelle aussi à faire réfléchir et interpeller nos contemporains.
Pour la prédication d’aujourd’hui, je vous propose donc de traiter l’un des deux sujets de dissertation de philo, avec un regard biblique.
Voici l’intitulé du sujet :
Revient-il à l’État de décider de ce qui est juste ?
C’est une très vaste question, il y a de quoi disserter. Moi-même en réfléchissant à cette question, je me suis forcé à ne pas tourner en rond, car un sujet en amène un autre, qui en amène un autre, qui en amène un autre, etc. Et à la fin on se retrouve à se perdre dans le monde des idées.
J’ai donc sélectionné juste quelques idées et quelques textes bibliques pour guider notre réflexion de ce matin.
Dans mon premier point, je défends l’idée selon laquelle l’état a une légitimité pour décider de ce qui est juste.
[1. L’état a une certaine légitimité pour décider de ce qui est juste]
Je vais ensuite parler des limites de cette affirmation, mais on peut commencer par noter que l’état a tout de même un rôle à jouer dans la justice.
Dans la Bible, l’un des textes majeurs qui parlent de l’état, se trouve dans la lettre de Paul aux Romains, au chapitre 13.
1 Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu, et celles qui existent ont été établies par Dieu.
2 C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes.
3 En effet, on n’a pas à craindre les magistrats quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas avoir à craindre l’autorité? Fais le bien et tu auras son approbation,
4 car le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, sois dans la crainte.///
En effet, ce n’est pas pour rien qu’il porte l’épée, puisqu’il est serviteur de Dieu pour manifester sa colère en punissant celui qui fait le mal.
5 Il est donc nécessaire de se soumettre aux autorités, non seulement à cause de cette colère, mais encore par motif de conscience.
6 C’est aussi pour cela que vous payez des impôts, car les magistrats sont des serviteurs de Dieu qui s’appliquent entièrement à cette fonction.
7 Rendez à chacun ce qui lui est dû: l’impôt à qui vous devez l’impôt, la taxe à qui vous devez la taxe, le respect à qui vous devez le respect, l’honneur à qui vous devez l’honneur.
Dans ce texte, Paul parle des autorités et de ceux qui nous gouvernent, autrement dit, de l’état. En tout cas, je pense que c’est de cette manière qu’il faut définir l’état. Si l’on fait un peu de recherche, on se rend compte que cette notion est difficile à définir, il y a plusieurs écoles.
Mais je trouve que l’apôtre Paul a bien résumé ce qu’est l’état en parlant des autorités et de ceux qui nous gouvernent.
Il dit qu’il faut respecter ces institutions et que leur autorité vient de Dieu.
À chaque fois que je lis ce passage, je ne peux m’empêcher de penser à tous les états où règne la dictature, la maltraitance du peuple et l’injustice. Et si l’on regarde l’histoire de France, on ne peut pas dire que les autorités ont toujours fait preuve de bonté envers le peuple ou envers d’autres peuples.
Si l’on pense aussi au contexte de l’apôtre Paul, il vivait sous domination romaine. On sait aussi que l’Empire romain a persécuté les chrétiens.
Pourquoi dit-il alors que les autorités et les gouvernants tiennent leur autorité de Dieu ?
C’est parce que la présence d’une organisation qui gère la société limite les dégâts.
Paul ne dit pas que les gouvernants prennent toujours les bonnes décisions. Il ne dit pas que les autorités sont pures et saints. Il ne dit pas que les autorités font toujours la volonté de Dieu.
Mais l’existence d’un état permet que dans chaque peuple, ce ne soit pas la loi de la jungle.
Sans organisation de la société, chacun fait ce qu’il veut. Il y a déjà des gens qui font ce qu’ils veulent, mais c’est moins catastrophique lorsque l’état joue son rôle de gouvernance. Et c’est encore mieux lorsque les gouvernants le font avec bonté.
Paul demande aux chrétiens de se soumettre aux autorités, car (v. 7) il faut rendre à chacun ce qui lui est dû. C’est exactement pareil lorsque Jésus dit : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
C’est intéressant, car Paul ne parle pas des gouvernants en disant : ils sont tous corrompus, il faut les remplacer par des chrétiens et imposer une loi divine sur terre.
Jésus a dit que son royaume n’est pas de ce monde. Est-ce que cela aurait du sens d’obliger les gens à appliquer des principes divins alors qu’ils ne croient pas en Dieu ?…
Finalement, ce que l’apôtre Paul dit, lorsqu’il parle de l’état, c’est que dans sa grâce, Dieu permet que les hommes s’organisent dans le cadre de l’état. Cela vient de Dieu.
En France, les victimes ont le droit de porter plainte et la police peut interpeller des malfaiteurs et les mettre hors d’état de nuire. Le système n’est pas parfait, mais cela permet de limiter les dégâts.
Oui, l’état a une certaine légitimé pour décider de ce qui est juste. Mais les gens qui décident, ainsi que les décisions elles-mêmes ne seront pas toujours idéales.
L’état a donc une légitimité, mais elle n’a pas toute la légitimité, elle a même des limites. C’est mon deuxième point.
[2. Les limites de l’état et de la justice]
Je vous invite maintenant à lire l’Évangile selon Matthieu, chapitre 19, les versets 2 à 8.
2 De grandes foules le suivirent, et là il [Jésus] guérit les malades.
3 Les pharisiens l’abordèrent et, pour lui tendre un piège, ils lui dirent: «Est-il permis à un homme de divorcer de sa femme pour n’importe quel motif?»
4 Il répondit: «N’avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, a fait l’homme et la femme
5 et qu’il a dit: C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux ne feront qu’un ?///
6 Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ne font qu’un. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni.»
7 «Pourquoi donc, lui dirent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner une lettre de divorce à la femme lorsqu’on la renvoie ?»
8 Il leur répondit: «C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de divorcer de vos femmes; au commencement, ce n’était pas le cas.
SI j’ai choisi ce texte, ce n’est pas pour parler du divorce, c’est un sujet qui mérite plutôt une discussion à part. J’ai choisi ce texte pour parler de la démarche de Dieu.
Les pharisiens voulaient tendre un piège à Jésus. À l’époque, il y avait plusieurs courants dans le judaïsme. À propos du divorce, certains disaient que l’on pouvait se séparer de sa femme seulement pour cause d’infidélité. D’autres disaient que l’on pouvait se séparer sa femme pour toutes sortes d’autres raisons.
Par leur question, ils voulaient forcer Jésus à prendre parti. Quelle que soit sa réponse, il allait se mettre à dos une partie des religieux.
Alors Jésus répond au verset 8 : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de divorcer de vos femmes; au commencement, ce n’était pas le cas ».
Puisque le cœur de l’homme est mauvais et puisque les hommes mettaient les femmes dans un statut très précaire en se séparant d’elles, Dieu prend cela en compte. Il fait une concession et réglemente la manière dont le divorce devait être fait afin de protéger les personnes en situation de faiblesse.
Dieu fait ce qui est juste.
Je trouve ce texte intéressant, car ce qui est juste est parfois loin de l’idéal. Mais comme l’idéal n’est pas atteint dans ce monde, Dieu prend cela en compte dans ses commandements.
Je pense qu’il faut ainsi distinguer ce qui est juste de ce qui est bien. Ce qui est juste n’est pas forcément l’idéal.
Au fil des siècles, les penseurs qui ont réfléchi à ces questions sont arrivés à la même conclusion.
Pour revenir sur le thème de la philo, on peut noter que Rousseau est connu pour avoir écrit sur ce thème de l’état. Il parle de « contrat social », une sorte de pacte tacite entre les citoyens d’un même pays.
Ce pacte permet de prendre en compte ce qu’il appelle « la volonté générale ». En gros, chacun ne fait pas ce qu’il veut pour ses propres intérêts, mais l’on regarde l’intérêt général.
Rousseau a perçu quelque chose de bon dans l’état, dans le sens où cette organisation vise l’intérêt général et non pas les intérêts individuels. Mais il pose aussi la question de la fragilité de l’état. Il note que derrière l’état, il y a des personnes, et ces personnes ont parfois des intérêts personnels qui ne sont pas compatibles avec l’intérêt général.
Le « contrat social » est fragile, et nous savons qu’il n’est pas toujours respecté.
Nous savons que la corruption existe, que les lois ne sont pas toujours bonnes et que la justice sociale n’est pas toujours prise en compte.
L’état limite les inégalités et les injustices, mais elle ne peut pas tout régler. Parfois, certaines personnes dépositaires de l’autorité sont même auteurs de malfaisances.
Cette constatation nous amène à être conscients des limites de l’état.
Oui, il revient à l’état de prendre des décisions sur ce qui est juste, afin d’organiser un minimum la société. Cependant, l’état n’est qu’une organisation humaine, mise en place par des humains.
Les autorités et les gouvernants ne sont pas meilleurs que le reste de la population. La justice qui découle de l’état n’est donc pas toujours idéale, elle a des limites.
J’en arrive à mon troisième et dernier point :
[3. Peut-il y avoir un état vraiment juste ?]
Ces derniers temps, on entend beaucoup parler de débats politiques, avec les présidentielles, les législatives et les États-Unis, d’où la France a importé le débat sur la législation concernant l’avortement.
On entend aussi beaucoup parler des partis de l’opposition. Chacun estime qu’il a de meilleures solutions.
Qu’attendons-nous de l’état ?
Si l’on résume ce que l’on a dit, l’état est un ensemble d’organisations humaines, qui normalement devrait viser l’intérêt général, mais ces institutions ne sont pas parfaites.
Nous avons vu qu’il y a des limites, et nous savons que l’injustice règne encore, même parmi ceux qui font appliquer la justice. Peut-on espérer atteindre un jour l’état parfait ?
La Bible est claire à ce sujet, Jésus a soulevé le problème dans le texte de Matthieu :
«C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de divorcer de vos femmes; au commencement, ce n’était pas le cas. »
L’humanité a un cœur dur. La justice parfaite peut-elle venir des hommes ?
Si la justice ne peut pas venir des hommes, pourquoi pensons-nous qu’un monde plus juste peut exister ?
Avez-vous déjà prononcé ces quelques mots ? « Ce n’est pas juste. »
Si la justice n’est pas de ce monde, comment savons-nous ce qui est juste ou pas ?
S’il y a toujours eu des pauvres, pourquoi disons-nous que les inégalités sont une injustice ? Cela devrait nous paraître normal, mais ça ne l’est pas.
La Bible nous apprend que nous avons été créés à l’image de Dieu. Il y a une trace de Dieu en nous et nous en avons une certaine conscience.
La notion de justice est comme inscrite dans notre ADN, mais cette notion reste floue. Nous savons que la justice existe, mais nous n’arrivons pas à l’atteindre, parce que nous avons un cœur dur.
Quelle est la conclusion ?
[Conclusion]
Ma conclusion sera brève : si la justice parfaite ne se trouve pas dans le cœur de l’homme, alors il faut la chercher autre part.
La Bible nous présente Dieu comme étant le juste par excellence. C’est rassurant de savoir qu’il rendra justice à la terre entière lors du jugement dernier. Mais ce terme de jugement ne plaît pas trop.
Cela m’interpelle, car nous sommes conscients de notre justice imparfaite, et pourtant nous remettons parfois la justice de Dieu en question.
Nous avons besoin du Saint-Esprit pour transformer notre cœur, c’est notamment pour cela que Jésus l’a envoyé. Que notre cœur ne soit plus un cœur dur, mais un cœur transformé, qui comprend ce qu’est la vraie justice. Et que cette justice bienfaisante soit en action dans un monde injuste.