M. Berger avait deux fils : Jacques, l’aîné, et Timothée, le plus jeune. Ce Père de famille gérait une grande exploitation agricole. Il possédait de grands champs de céréales, plusieurs tracteurs, des machines, des bâtiments et employait plusieurs dizaines d’ouvriers. Jacques et Timothée travaillaient aussi dans les champs.
Leurs parents, M. et Mme Berger, leur avaient inculqué le sens du travail dès le plus jeune âge. Plus tard, ce sont eux qui gèreront l’exploitation familiale.
Un jour, le plus jeune des fils alla voir ses parents pour leur faire part d’un projet particulier.
« Papa, maman, vous savez que je ne suis pas doué pour le travail que vous me demandez de faire. J’aimerais trouver un travail qui me convient mieux, j’aimerais trouver ma vocation et je ne pense pas que ce soit dans l’agriculture. »
M. Berger regarda son fils Timothée un long moment.
Et il lui demanda : « Et que souhaites-tu ? »
« J’aimerais partir découvrir le monde, changer d’air et réfléchir » répondit-il.
« Vous m’avez ouvert un compte épargne dès ma naissance, j’aimerais utiliser cet argent pour voyager. »
Mme Berger, très inquiète, regarda son mari d’un air insistant : « Simon, écoute, ne lui réponds pas tout de suite, discutons-en ce soir, prenons le temps de réfléchir. »
M. Berger n’hésita pas un instant : « Sarah, il est adulte, il n’a pas besoin de notre autorisation, s’il veut partir, c’est son choix. »
Puis il se tourna vers son fils : « Cet argent est à toi, tu es majeur, fait comme tu veux. »
Timothée fut étonné de la réaction de son père qui accepta son départ si rapidement et si facilement. Il fut encore plus étonné de la réaction de sa mère qui pleura toute la journée et toute la nuit.
Les jours qui précédaient son départ furent étranges, son père paraissait détaché, alors que sa mère paraissait soucieuse. Quant à son frère Jacques, il était en colère.
« Cela me fera beaucoup de bien de m’éloigner de cet endroit si anxiogène », se dit Timothée.
Le jour du départ fut bref, tout le monde s’y était préparé. Timothée était soulagé de s’éloigner de sa famille qui lui causait beaucoup stress, entre le détachement du père, l’inquiétude de sa mère et la colère de son frère, il se sentait bien angoissé à la ferme familiale.
Il prit l’avion pour l’Amérique du Sud, sa première destination. En effet, il comptait faire le tour du globe pour découvrir autre chose et réfléchir à son avenir.
Malheureusement, dès la première semaine, il se retrouva dans une situation accablante. Il tomba malade alors qu’il se trouvait dans un village reculé, loin des hôpitaux. Il développa une forme grave de la maladie et fut alité pendant plusieurs jours.
Les villageois l’amenèrent dans un centre médical de campagne, il ne fut pas en état d’être transporté étant donné l’état des routes. Timothée dut dépenser de grosses sommes d’argent pour faire venir les médicaments de la ville, il fallait payer des coursiers.
Plusieurs jours passèrent et son état ne s’améliorait pas, au contraire, sa santé se dégradait davantage.
Il devait absolument se rendre à l’hôpital, alors il dépensa tout ce qui lui restait comme argent pour payer un hélicoptère, en espérant que les assurances qu’il avait prises avant son départ pouvaient lui rembourser les sommes avancées.
Une fois à l’hôpital, il fut mieux soigné. Une dizaine de jours après, il fut assez en forme pour sortir, mais il n’avait plus d’argent. Il s’était fait rembourser tous ses billets d’avion pour payer l’hôpital.
Affaibli et démoralisé, il décida de rentrer en France seulement un mois après son départ, alors qu’il avait prévu 12 mois de voyage. Il dut faire un emprunt pour payer son retour.
De retour en France, Timothée fit les démarches pour se faire rembourser ses frais d’hospitalisation à l’étranger, il avait pris des assurances pour cela.
Malheureusement, les assurances refusèrent toutes de le rembourser. Soit les factures n’étaient pas aux normes, soit les soins n’ont pas été dispensés dans des centres agréés.
Timothée était trop affaibli pour travailler. Il était aussi démoralisé, seul et endetté. Il décida de retourner chez son père, avec l’intention de s’engager à travailler dur pour lui dès qu’il sera en meilleure forme.
Ce matin-là, Mme Berger était à la fenêtre de sa chambre quand elle aperçut son fils au loin. Son cœur se mit à battre à toute vitesse et elle eut des vertiges tant ses émotions étaient fortes.
Elle n’était pas capable de descendre pour retrouver son fils, mais elle entendit la conversation avec son mari.
« Papa, je suis tombé très malade, je n’ai plus d’argent, j’ai tout dépensé pour les soins en Amérique du Sud. Acceptes-tu de me reprendre à la maison ? Je travaillerai dur pour rembourser mes dettes. »
M. Berger fit un sourire et répondit à son fils :
– Tu te moques de moi ? Tu oses revenir alors que tu es parti avec 20 ans d’économies ? En seulement un mois, tu as dépensé 25 000 euros ? 25 000 euros que ta mère et moi avions mis de côté au cas où tu souhaitais faire des études ou faire quelque chose d’intelligent.
Tu as voulu partir, car tu ne te sentais pas bien ici et maintenant que tu n’as plus d’argent tu veux revenir ? Tu n’as jamais aimé travailler pour moi et maintenant tu veux travailler ?
Écoute Timothée, tu as voulu partir pour réfléchir, je te laisse réfléchir, mais pas chez moi, adieu.
Le jeune Timothée, bouleversé, reparti sous le regard méprisant de son père et de son frère. Il n’eut même pas l’occasion de voir sa mère. Il décida de prendre la direction de la ville en stop, en espérant trouver de l’aide.
Mme Berger avait entendu toute la conversation, elle fut dévastée. Si elle était si mal en voyant son fils par la fenêtre, c’est parce qu’elle redoutait précisément cette réaction-là de son mari.
En effet, M. Berger avait toujours dit qu’il ne supporterait pas que l’un de ses fils quitte la maison pour dépenser de l’argent de manière futile. Pour lui, faire le tour du monde pour réfléchir, c’était irresponsable et irrespectueux.
Pour M. Berger, un fils devrait honorer le travail de ses parents et non le mépriser.
Afin de motiver ses fils à travailler, il offrait chaque année une fête à celui qui travaillait le plus rapidement et le plus efficacement.
Jacques, le fils aîné, gagnait toujours cette compétition, la fête était toujours pour lui. Les deux frères étaient toujours en concurrence, ce qui les rendit distants l’un de l’autre.
Même si elle n’appréciait pas toutes ses méthodes d’éducation, Mme Berger était d’accord avec ces valeurs. Mais ce jour-là, elle trouvait que son mari réagissait de manière démesurée. Elle aurait été d’accord qu’il se mette en colère, mais refuser de l’aide à son fils, c’était trop excessif.
Lorsqu’elle se remit de ses émotions, elle alla parler avec son mari qui travaillait dans les champs.
– Simon, qu’est-ce qui te prend ? Que tu te mettes en colère, je peux comprendre, mais tu vas trop loin en fermant la porte à ton fils, en le rejetant.
– On était d’accord sur les valeurs à inculquer à nos enfants, Sarah. Il incarne tout ce que j’ai toujours détesté.
– Mais c’est notre fils, où est ton cœur Simon ? Tu rejettes notre fils ? On ne peut pas lui faire ça, allons le retrouver, discutons avec lui. Reste fâché contre lui si tu veux, fais-le travailler jour et nuit, mais qu’il revienne à la maison.
– Ce n’est plus mon fils, répondit M. Berger, tout en continuant de travailler dans les champs.
– Je ne te reconnais plus, dit Sarah. Moi je vais le chercher.
– Très bien, va le chercher, mais ne reviens plus toi non plus.
Mme Berger pris son sac, sa voiture, et parti à la recherche de son fils en ville, mais en vain. Son téléphone était désactivé, elle ne pouvait pas le joindre. Elle parcourut toutes les rues de l’agglomération, jusqu’à la tombée de la nuit, sans succès.
Si Timothée était si difficile à retrouver, c’est parce qu’il n’était plus dans la rue, il était en train de faire la queue au Samusocial, dans un centre d’hébergement pour les sans-abris.
Il n’y avait pas beaucoup de monde, mais Timothée était le dernier arrivé et l’attente était longue. En effet, l’homme à l’accueil prenait du temps pour être à l’écoute de chaque situation.
Après une bonne dose de patience, le tour de Timothée arriva enfin.
« Bonsoir monsieur », dit le bénévole à l’accueil. « Je m’appelle Jules, expliquez-moi votre situation. »
Timothée expliqua brièvement son histoire. La bienveillance et l’écoute de Jules lui apportèrent beaucoup d’apaisement.
« Nous allons maintenant remplir votre dossier », dit l’homme à l’accueil.
– Quel est votre nom de famille ?
– Berger, répondit Timothée.
Jules fut secoué par ce qu’il venait d’entendre : « comment ? »
– Berger, répéta-t-il.
– Vous m’avez dit que votre père gérait une grande exploitation ? Comment s’appelle-t-il ?
– Simon Berger, répondit Timothée. Pourquoi ? Vous le connaissez ?
– Attendez 2 minutes, je reviens, répondit le bénévole.
Jules sortit de la pièce et alla prendre l’air. Des larmes commençaient à couler de ses yeux.
« Je l’ai retrouvé », dit-il. « Je l’ai retrouvé… »
De retour à l’intérieur, Jules ne put cacher ses émotions.
« Que vous arrive-t-il ? », demanda Timothée.
– Ce que je vais vous apprendre va certainement te bouleverser Timothée, mais je dois te le dire.
Timothée fut étonné de ce changement de ton. Les pleurs, le tutoiement, qu’est-ce que cela signifie ? Les réponses ne tardèrent pas à arriver.
Je m’appelle Jules Berger, j’ai grandi dans une ferme, au nord de la France. Lorsque j’avais ton âge, j’ai demandé ma part d’héritage à mon père et j’ai quitté la maison. Je n’ai pas donné de nouvelles à mes parents pendant des mois et des mois. J’ai tout dépensé, j’ai fait des bêtises, j’ai dilapidé l’argent de mes parents et je me suis retrouvé à la rue.
Je suis donc retourné chez mon père, et à ma grande surprise, il m’a reçu les bras grands ouverts, il a même fait une fête, car il m’avait retrouvé. Il n’y a jamais eu une aussi grande fête à la maison.
C’était un jour merveilleux, mais le lendemain fut un triste jour. Mon frère était en colère, lui qui était toujours à la ferme pour aider mon père, il n’avait jamais eu de fête. Il en a voulu à mon père de m’avoir accueilli si généreusement. Il est donc parti lui aussi avec son héritage, fâché contre toute a famille, et il n’a plus jamais donné de nouvelles.
Je l’ai cherché pendant des années, mais il existe des centaines de Simon Berger dans toute la France, et je suppose qu’il s’est mis sur liste rouge, je ne l’ai jamais retrouvé.
Aujourd’hui je me retrouve devant toi, son fils, mon neveu.
Si ton père t’a rejeté si violemment, j’imagine que c’est parce que tu lui fais penser à moi. Ce qui t’arrive est un peu de ma faute.
Timothée n’en croyait pas ses oreilles. Son père lui avait toujours dit qu’il n’avait ni sœur ni frère. Et ce soir, il apprend qu’il a un frère.
Timothée était encore sous le choc, lorsque la porte du centre s’ouvrit, c’était sa mère.
« Timothée, mon garçon ! Je t’ai cherché dans toute la ville ! Je suis si heureuse de t’avoir retrouvé ! Viens, tu n’as pas besoin de rester ici, je te ramène à la maison… »
« Maman, excuse-moi de ne pas avoir donné de nouvelles, j’ai été très malade, ensuite mon abonnement téléphonique a été coupé. J’ai pensé à vous tous les jours… »
« Viens, tu me raconteras tout ça à la maison, je te ramène en voiture… »
« Attends, ce n’est pas un hasard s’il m’est arrivé tout cela et si je suis arrivé ici ce soir. J’ai rencontré ce monsieur, Jules, il a des choses à t’apprendre… »
Jules raconta toute son histoire à Mme Berger. Ils passèrent tous les trois la nuit à discuter et à échanger jusqu’à l’aube.
Lorsque le soleil se leva, Jules finissait son service. Mme Berger, Timothée et Jules décidèrent de retourner ensemble à la ferme familiale pour parler à M. Berger.
Lorsqu’ils arrivèrent, M. Berger et son fils aîné étaient en train de travailler dans les champs. Nos trois personnages allèrent le rejoindre.
« Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? » grommela M. Berger.
« Je vous demande de partir, de ne plus revenir, et vous revenez à trois ? Qui est-ce que vous me ramenez ? »
« Simon, c’est moi, tu ne me reconnais pas ? C’est moi, Jules, ton frère… »
M. Berger se retourna et fit semblant d’ignorer ce qu’il venait d’entendre, il se dirigeait lentement vers son fils aîné à travers les champs.
« Tu m’en veux toujours ? » demanda Jules.
M. Berger s’arrêta un long moment, puis se retourna, son regard montrait à la fois de la colère et de la tendresse.
« J’ai travaillé nuit et jour pour papa » dit Jacques.
« Lorsque tu es parti pour t’amuser pendant des mois, c’est moi qui faisais ton travail. J’ai travaillé comme un esclave pour papa, et c’est pour toi qu’il a fait la fête.
Ce n’est pas toi qui lui obéissais comme un ouvrier obéit à son maître. Ce n’est pas toi qui respectais toutes les règles des employés à la lettre. J’ai tout fait pour gagner son amour, mais c’est pour toi qu’il a fait la fête… Est-ce digne d’un bon père ? »
« Tu as tout fait pour gagner son amour ? » demanda Jules.
Mais tu n’avais rien à faire pour gagner son amour, il ne t’a jamais demandé de travailler comme un employé. Tu as donc utilisé le travail pour chercher une place d’honneur ? Mais la place d’honneur, tu l’avais déjà, tu es son enfant, pas son ouvrier, il est ton père, pas ton maître. »
« Alors j’aurais simplement dû demander une fête, comme toi, et il me l’aurait accordée ? Tu nous abandonnes et tu as le droit à une fête, tu trouves cela juste ?»
« Tu en veux à papa d’avoir été généreux ? Bien sûr que non je n’ai pas trouvé cela juste, mais cela lui faisait tellement plaisir. Moi je n’ai jamais rien demandé.
Si ! J’ai demandé quelque chose, j’ai demandé qu’il me traite comme un esclave, j’ai demandé à le servir comme s’il était mon maître. Je me suis agenouillé la tête contre le sol devant lui pour lui demander pardon, je lui ai dit : « papa, je ne suis pas digne d’être accueilli comme ton enfant, alors traite-moi comme un de tes ouvriers ».
Mais papa m’a relevé et il m’a dit : « je suis si content de te voir, ton retour me comble de joie, viens mon enfant, rentre à la maison, nous allons tous nous réjouir, car tu étais perdu, mais maintenant tu es retrouvé ». »
M. Berger ne savait plus que dire. Son regard se tourna vers son fils préféré, son fils aîné qui travaillait dans les champs et qui n’avait aucune idée de ce qui se passait. Il se demanda s’il aimait son fils parce qu’il travaillait bien, ou simplement parce qu’il était son enfant.
Puis il regarda son fils cadet, qui le fixait lui aussi. Timothée espérait un signe d’affection de la part de son père.
Jules repris : « papa serait si heureux de te voir ».
M. Berger le regarda à nouveau : « papa est encore en vie » ?
« Oui », répondit Jules.
« Notre père est vivant, il t’aime et je suis sûr qu’il t’accueillera les bras grands ouverts. »
Christian Huy, inspiré de Luc 15.11-32