Se faire un café, c’est spirituel ou pas ?

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Dans l’esprit de beaucoup de personnes, il y a une séparation entre ce qui est spirituel, et ce qui n’est pas spirituel. Prenons quelques exemples.

Se lever le matin, s’habiller pour la journée, puis préparer son thé ou son café, est-ce que c’est spirituel ?

Beaucoup de personnes diront : « non, préparer son café n’est pas spirituel ».
En revanche, on dira que prier pour remercier Dieu avant de boire son café, c’est spirituel.

Autre exemple :
Prendre sa voiture le matin pour aller au travail, est-ce que c’est spirituel ?
Beaucoup de personnes diront : non.
En revanche, on dira que prier pour la protection de Dieu sur la route, c’est spirituel.
Ou alors, aller à l’étude biblique de l’Église en rentrant du travail, c’est spirituel.

Je prends un dernier exemple : aller à la poste pour acheter des timbres, est-ce que c’est spirituel ?
Beaucoup diront : non.
En revanche, on dira que si on donne une Bible au facteur, en lui disant que Jésus est le sauveur du monde, c’est spirituel.

Lorsque j’ai commencé à être engagé dans la foi chrétienne, c’était le type de discours que j’entendais autour de moi, et je pense que c’est une vision de la spiritualité qui reste ancrée dans notre esprit.

Je ne dis pas que la prière, la lecture de la Bible, et parler de Jésus, c’est ringard ou dépassé. Pas du tout. Toutes ces choses sont bien spirituelles. En tant que disciples de Jésus, nous sommes appelés à avoir ces démarches.

Cela dit, nous faisons parfois trop de distinction entre ce qui pourrait être spirituel ou pas. Si bien que, lorsqu’un chrétien souhaite s’investir davantage dans son engagement chrétien, on lui dit souvent : « tu veux être plus engagé ? Assiste à plus d’étude biblique, prends des cours de théologie, viens plus à l’Église, prends des responsabilités et distribue des Bibles. »

On oublie trop souvent de lui dire aussi :

  • Sois un acteur de paix dans l’entreprise où tu travailles.
  • Prie pour tes collègues et tes supérieurs, même ceux qui sont pénibles.
  • Sois une source de bénédiction pour tes voisins.
  • Aime ton prochain.
  • Que ta maison soit un lieu d’accueil, d’écoute, d’hospitalité.
  • À la fin du culte, va parler et inviter ceux dont tu ne connais pas le prénom.

Je ne suis pas en train de dire qu’absolument tout est spirituel, mais tout peut devenir spirituel en fonction de notre attitude.

Lorsque je prépare mon café dans une attitude de reconnaissance à Dieu.

Lorsque je prends la voiture en ayant conscience que Dieu me fait la grâce d’en posséder une, et qu’il est le maître de ma journée.

Lorsque je me trouve devant le facteur à la poste, et que je vois en lui, pas seulement un employé qui doit faire son travail, mais une personne à respecter, que Dieu aime.

Toutes ces attitudes sont spirituelles. L’étudiant dans sa classe, le travailleur dans son entreprise, le retraité qui fait la queue à la boulangerie, ou le pasteur pendant une étude biblique, toutes ces personnes peuvent être autant spirituelles l’une que l’autre.

Dans cette vision de la spiritualité, on ne se retrouve plus avec deux mondes : le monde matériel d’une part, et le monde spirituel d’autre part.

Le matériel et le spirituel sont imbriqués l’un dans l’autre.

Ils sont imbriqués, mais il y a quand même une différence de taille. Tout ce qui est terrestre disparaîtra et sera transformé pour devenir meilleur à la fin des temps.

Nous sommes passagers sur cette terre. Nous n’y passerons pas l’éternité, mais nous y passons le temps de notre vie. Et le temps de cette vie, nous sommes appelés à vivre pleinement notre foi, en tant que citoyen du monde et en tant que disciples de Jésus.

Je vous propose de lire un texte dans la Bible qui nous parle de notre rapport avec ce monde et le monde à venir.

Il s’agit d’un texte dans l’Évangile selon Luc, chapitre 20. Nous commençons par lire les versets 20 à 26, puis nous lirons la suite dans un deuxième temps.

Dans ce passage de la Bible, les spécialistes de la loi juive veulent tendre un piège à Jésus.

20 Ils se mirent à observer Jésus et ils envoyèrent des hommes qui faisaient semblant d’être des justes pour le prendre au piège de ses propres paroles, afin de le livrer au pouvoir et à l’autorité du gouverneur.
21 Ils lui posèrent cette question: «Maître, nous savons que tu parles et enseignes avec droiture et que tu ne tiens pas compte de l’apparence, mais que tu enseignes le chemin de Dieu en toute vérité.
22 Nous est-il permis, ou non, de payer l’impôt à l’empereur?»
23 Jésus discerna leur ruse et leur répondit: « 24 Montrez-moi une pièce de monnaie. De qui porte-t-elle l’effigie et l’inscription?» «De l’empereur  [César]», répondirent-ils.
25 Alors il leur dit: «Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.»
26 Ils ne purent pas le prendre en défaut dans ce qu’il disait devant le peuple; étonnés de sa réponse, ils gardèrent le silence.

Dans cette scène, les spécialistes de la loi veulent piéger Jésus. Sa popularité est grandissante, et son enseignement est révolutionnaire. Jésus ne s’attache pas à la tradition, il ne s’attache qu’à Dieu et à la Torah.

Les spécialistes de la loi et les pharisiens, au lieu de le voir comme l’envoyé de Dieu, le perçoivent comme une menace.

Alors ils veulent le décrédibiliser en public, ils lui posent des questions pièges.

La question de l’impôt est très bien trouvée.

[1. L’impôt et notre rapport à ce monde]

À cette époque, Israël était un pays sous domination romaine. Les juifs avaient des privilèges. Par exemple, ils avaient la liberté de culte, ils avaient le droit de ne pas adorer l’empereur comme un Dieu, et ils avaient le droit d’observer le sabbat et leurs fêtes religieuses.

Malgré ces privilèges, les juifs considéraient l’Empire romain comme un ennemi. Ils étaient soumis à l’autorité romaine. Ils devaient par exemple payer des impôts qui leur rappelaient leur devoir de soumission à l’Empereur.

Les spécialistes posent une question précise à Jésus : « Nous est-il permis, ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? »

La tournure de la phrase est bien pensée.

C’est une question fermée, on ne peut y répondre que par oui ou non.
De plus, cette question fait référence à l’empereur, symbole d’autorité, de royauté et même de divinité.

Si Jésus répond : oui, il faut payer l’impôt, les spécialistes de la loi pourront l’accuser de collaborer avec Rome et même de trahir la nation juive.

Si Jésus répond : non, il ne faut pas payer l’impôt, les spécialistes de la loi pourront l’accuser de se rebeller contre Rome. Une telle rébellion était sévèrement punie par la loi romaine.

Quoiqu’il réponde, les spécialistes de la loi auraient pu instrumentaliser les paroles de Jésus contre lui. Soit pour le rendre impopulaire auprès des juifs, soit pour le présenter comme rebelle vis-à-vis de Rome.

Comme toujours, Jésus discerne le piège, et il répond avec beaucoup de sagesse.

« Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Les spécialistes de la loi avaient politisé la question. Ils voulaient forcer Jésus à dire s’il fallait être du côté des juifs ou du côté des Romains.

Mais la question n’est pas une question politique. C’est une question spirituelle.

Le débat n’est pas de savoir s’il faut soutenir Israël ou soutenir Rome. La question est de savoir si notre cœur appartient à César ou à Dieu.

Jésus déplace le débat politique pour l’amener sur le terrain spirituel. Il ne s’agit plus simplement d’un impôt, d’une pièce ou d’une loi humaine, mais d’un choix de loyauté.

Oui, il faut rendre à César ce qui lui revient : nos obligations civiles, notre respect des autorités, nos devoirs de citoyens. Mais surtout, il faut rendre à Dieu ce qui lui appartient : notre vie, notre adoration, notre obéissance et notre amour.

Jésus nous rappelle que nous pouvons vivre dans le monde sans être du monde. Nous pouvons respecter les institutions humaines sans leur donner la place de Dieu. César peut avoir nos impôts, mais Dieu doit avoir nos cœurs.

Jésus n’entre pas dans le système de pensée où il y aurait deux camps : le monde terrestre, et le monde spirituel.

Il ne s’agit pas d’opposer le matériel et le spirituel, mais de reconnaître que le spirituel peut se vivre au sein de la société lorsque Dieu règne dans nos cœurs. Il ne parle pas de rupture, mais d’incarnation.

Jésus nous invite à vivre une spiritualité incarnée — une foi qui s’exprime dans nos choix quotidiens, nos relations, notre travail et notre manière d’aimer.

Je pense aussi que Jésus va même plus loin. Quand il dit qu’il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, il nous invite à tout regarder par rapport à l’éternité.

C’est là que la suite du texte peut nous aider à comprendre pleinement les paroles de Jésus.

Très souvent, dans les Évangiles, lorsque deux textes similaires se suivent, c’est que l’auteur a fait exprès, il veut nous faire comprendre quelque chose. La plupart du temps, nous comprenons mieux le premier texte grâce au deuxième, et nous comprenons mieux le deuxième grâce au premier.

Je vous invite donc à lire la suite.

Chapitre 20, versets 27 à 40.

27 Quelques-uns des sadducéens, qui disent qu’il n’y a pas de résurrection, s’approchèrent et posèrent à Jésus cette question:
28 «Maître, voici ce que Moïse nous a prescrit: Si un homme marié meurt sans avoir d’enfants, son frère épousera la veuve et donnera une descendance à son frère.
29 Or, il y avait sept frères. Le premier s’est marié et est mort sans enfants.
30 Le deuxième [a épousé la veuve et est mort sans enfants],
31 puis le troisième l’a épousée; il en est allé de même pour les sept: ils sont morts sans laisser d’enfants. 32 Enfin, la femme est morte aussi.
33 A la résurrection, duquel d’entre eux sera-t-elle donc la femme? En effet, les sept l’ont eue pour épouse.» 34 Jésus leur répondit: «Les hommes et les femmes de ce monde se marient,
35 mais celles et ceux qui seront jugés dignes de prendre part au monde à venir et à la résurrection ne se marieront pas.
36 Ils ne pourront pas non plus mourir, car ils seront semblables aux anges, et ils seront enfants de Dieu en tant qu’enfants de la résurrection.
37 Que les morts ressuscitent, c’est ce que Moïse a indiqué, dans l’épisode du buisson, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob.
38 Or Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui.» 39 Quelques spécialistes de la loi prirent la parole et dirent: «Maître, tu as bien parlé», 40 et ils n’osaient plus lui poser aucune question.

Là encore, dans cette scène, des opposants à Jésus essaient de le piéger.

Jésus enseignait qu’après la mort, et à la fin des temps, les croyants ressusciteront. Or, le parti religieux des saducéens ne croyaient pas en la résurrection.

Ils imaginent donc une histoire de mariage et ils posent une question à Jésus pour lui montrer que la théorie de la résurrection est absurde.

[2. Le mariage et notre rapport à l’éternité]

Imaginons qu’une femme ait plusieurs maris les uns après les autres.

À l’époque de Jésus, lorsqu’un homme mourait sans donner de descendance, le frère devait prendre en charge la femme veuve et lui assurer une descendance.

Les saducéens imaginent une histoire improbable, avec une femme qui épouse 7 maris les uns après les autres. Et ils demandent à Jésus : lors de la résurrection, cette femme sera l’épouse de quel mari ?

La réponse de Jésus est assez déstabilisante. Il dit que dans le monde présent, les hommes et les femmes se marient. Mais dans le monde à venir, là où nous vivrons lorsque nous serons ressuscités, il n’y aura pas de mariage.

Cette parole de Jésus inquiète beaucoup les époux qui espèrent se retrouver au ciel. Si au ciel, nous ne retrouverons pas celles et ceux que nous avons aimés, serons-nous heureux ?

Comment comprendre cette parole de Jésus ? Et quel est le rapport avec la première scène concernant les impôts ?

Il y a plusieurs points communs.

Dans les deux scènes, des religieux essaient de piéger Jésus.
Dans les deux scènes, il est question du monde matériel et du monde spirituel.

Il y a d’une part le monde présent avec son système et ses lois : les impôts et le mariage.
Et d’autre part, le monde spirituel qui se vit déjà ici et qui se prolongera dans l’éternité.

Dans les deux scènes, Jésus nous invite à penser autrement.
Il nous invite à regarder les choses d’un point de vue spirituel, tout en ayant les pieds sur terre.

Les impôts font partie du système imparfait de ce monde. Le mariage fait également partie du système de ce monde, Dieu l’a même institué.

Nous vivons dans ce monde, mais Jésus nous invite à regarder les choses à l’échelle de l’éternité.

Il nous apprend à replacer chaque chose à sa juste place, à la lumière de l’éternité.

Le premier texte, celui de l’impôt, nous rappelle que notre foi se vit dans le concret du quotidien : payer ses impôts, respecter les lois, travailler, s’impliquer dans la société, ce sont des réalités de ce monde, et Jésus ne les rejette pas.

Cependant, il nous avertit : attention à donner à César seulement ce qui revient à César, et à Dieu ce qui revient à Dieu.

Autrement dit : ne laisse pas ton cœur, ton identité, ton espérance dépendre des systèmes de ce monde.

Le deuxième texte — celui de la résurrection — vient compléter le premier.

Il nous montre que ce monde n’est pas une fin en soi.
Les structures qui nous paraissent essentielles aujourd’hui, comme le mariage, la politique, l’économie, ne sont que temporaires.

Elles ont leur utilité ici-bas, mais elles ne dureront pas éternellement.

Dans le monde à venir, notre manière de vivre sera totalement transformée.
Il n’y aura plus de hiérarchies, plus de dépendances, plus de possession, plus de mariages comme nous le connaissons.

Nous serons tous unis à Dieu, et comblés en lui.

Dans le premier texte, Jésus nous apprend à vivre notre foi dans le monde présent ; dans le second texte, il nous apprend à vivre tout cela en replaçant notre vie à l’échelle de l’éternité.

Cela change tout.

Parce que si nous vivons chaque journée avec cette perspective, alors même nos gestes les plus simples prennent une dimension spirituelle.

Travailler, cuisiner, étudier, aimer, se marier, pardonner, servir, prier, rire, écouter, donner : tout cela devient spirituel lorsque nous le faisons en sachant que nous appartenons à Dieu et non à ce monde, et que nous sommes faits pour l’éternité.

Pour conclure, je résume simplement les enseignements de Jésus.

[Conclusion]

  • Vivons pleinement sur cette terre, mais n’en soyons pas prisonniers.
  • Engageons-nous dans nos responsabilités, mais gardons notre regard tourné vers Dieu.
  • Aimons nos proches, mais rappelons-nous que l’amour de Dieu est plus vaste encore.
  • Travaillons pour ce monde, mais attendons le monde à venir.

Quand Jésus dit que dans la résurrection il n’y aura plus de mariage, il ne dit pas que les liens d’amour disparaîtront. Il dit qu’ils seront différents, c’est-à-dire parfaits, complets, transformés.

Jésus ne nous invite pas à choisir entre ce monde et le monde à venir.
Il nous invite à vivre dans ce monde en vue du monde à venir.
À investir le présent avec les valeurs de l’éternité.

Ce n’est pas rompre avec le monde, c’est vivre chaque instant comme un lieu où Dieu peut se manifester.

Quand je rends à César ce qui est à César, je montre que je fais partie de ce monde.
Quand je rends à Dieu ce qui est à Dieu, je montre que je ne suis pas de ce monde.
Et quand je vis ces deux réalités ensemble, ma vie spirituelle dans ma vie de tous les jours, alors le royaume de Dieu commence déjà à se manifester ici.

C.H.

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