Cette semaine, je suis allé à Paris pour des réunions nationales. Lundi matin, j’ai pris un train d’Artenay à 8h04, qui arrivait à Paris à 9h09. Ma réunion à Paris, rue d’Alésia, commençait à 10h30. J’avais donc une bonne marge, avec 45 minutes d’avance pour arriver à mon rendez-vous.
Pour une fois, en sortant du train, je me suis dit : « Je vais prendre mon temps, je vais marcher tranquillement ». Habituellement, quand je suis à Paris, je me dépêche, je marche vite pour passer le moins de temps possible dans les trajets et les transports. Mais cette fois-ci, c’était différent.
En sortant du train, dans le hall de la gare, j’aperçois un jeune homme, bien habillé, qui tente d’interpeler les nombreux passants qui marchent à toute allure, mais tout le monde l’évite.
Quand vient mon tour de passer devant lui, je m’arrête. Il m’explique qu’il vient d’atterrir à Paris depuis la Côte d’Ivoire, qu’il ne sait pas comment se rendre à Fleury-les-Aubrais, et que son train est censé partir dans 2 minutes.
Je cours donc avec lui pour lui montrer un panneau d’affichage, mais le panneau n’indique plus les numéros de quai des trains qui partent dans moins de 2 minutes. Entre temps, il me demande comment il doit acheter son billet.
Je comprends alors qu’il n’avait pas de billet et qu’il espérait l’acheter dans le train. Je lui demande si c’est possible pour lui de prendre le train suivant, qui part deux heures plus tard. Il me dit que c’est possible s’il prévient la personne qui lui a donné RDV.
On se dirige donc vers un automate pour acheter un billet. Il ne savait pas du tout comment fonctionnaient les gares, les achats, les trains, les panneaux d’affichage. Je me suis fait la réflexion que pour un étranger, c’était compliqué.
En achetant le billet, on discute un peu, j’apprends qu’il commence un doctorat d’économie à Orléans, et qu’il avait RDV avec son maître de thèse dans la journée. On échange nos coordonnées dans la perspective de reprendre contact plus tard. Je lui ai dit que j’étais pasteur et que s’il voulait être en contact avec du monde à Orléans, comme des Églises ou les GBU, il pouvait m’envoyer un message.
Un peu plus loin, je descends dans le métro, et un homme m’interpelle, car il ne sait pas bien lire le français, il n’y a pas de guichet ni d’agent de la RATP. Il aimerait acheter son billet de métro, mais ne sait pas comment faire. Je prends donc 5 min pour l’aider.
Je me suis fait la réflexion que si je restais là toute la matinée ou toute la journée, je croiserais certainement encore beaucoup de personnes qui auraient besoin d’aide.
Si je raconte ces anecdotes, ce n’est pas pour me féliciter ou me faire féliciter. D’ailleurs, toutes les fois où j’étais en marche rapide à Paris, c’est autant de fois où j’ai dû passer à côté de personnes dans le besoin sans le savoir.
Si je raconte cette anecdote, c’est parce que l’image de ce jeune Ivoirien me reste en tête : un jeune homme très poli, bien habillé, qui essaie d’interpeller les passants, mais qui est ignoré. Tous les passants avaient leur train à prendre, leur objectif en tête, leur programme de la matinée. Ils n’étaient pas méchants, mais ils avaient d’autres préoccupations, d’autres choses à faire.
Et cela m’a fait penser à moi, à nous, à l’Église, à notre monde, où l’individualisme reste un risque constant.
Je pense qu’aucun de ces nombreux passants ne se souvient avoir croisé cet étudiant. Je pense même que la plupart ne l’ont pas vraiment entendu.
À Paris, surtout dans le métro et dans les gares, on est sans cesse sollicité et interpellé par des SDF, des joueurs d’accordéons, des vendeurs, des distributeurs de publicités et toute sorte de personnes.
À force d’être si sollicité, on entre dans le métro en mettant son cerveau en mode avion, c’est-à-dire, en se coupant du monde. On entre dans une bulle et on ne fait plus attention à ce qui nous entoure. Le seul objectif est de partir d’un point A pour d’arriver à un point B.
En repensant à cette matinée, je me suis demandé si nous ne serions pas parfois comme ces passants ?
En raison de nos programmes et de nos emplois du temps, est-ce que dans l’Église nous manquons des occasions de faire attention à celui qui est à côté de nous ?
Je pense que l’individualisme est un risque qu’il faut constamment garder à l’œil, car un moment d’inattention suffit pour tomber dedans.
Le texte biblique que je vous propose de lire ce matin se trouve dans la lettre aux Philippiens. C’est un passage que j’ai déjà lu et sur lequel j’ai déjà prêché il y a quelque temps, mais il est tellement riche que l’on pourrait prêcher dessus plusieurs semaines de suite, et toujours y découvrir des enseignements actuels pour notre vie.
Ce texte nous invite simplement à faire comme Jésus et à penser aux autres.
Philippiens 1.1-12
1 S’il y a donc de l’encouragement en Christ, s’il y a de la consolation dans l’amour, s’il y a une communion de l’Esprit, s’il y a de la tendresse et de la compassion, 2 rendez ma joie parfaite en vivant en plein accord. Ayez un même amour, un même cœur, une unité de pensée.
3 Ne faites rien par esprit de rivalité ou par désir d’une gloire sans valeur, mais avec humilité considérez les autres comme supérieurs à vous-mêmes.///
4 Que chacun de vous, au lieu de regarder à ses propres intérêts, regarde aussi à ceux des autres.
5 Que votre attitude soit identique à celle de Jésus-Christ:
6 lui qui est de condition divine, il n’a pas regardé son égalité avec Dieu comme un butin à préserver,
7, mais il s’est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. Reconnu comme un simple homme, 8 il s’est humilié lui-même en faisant preuve d’obéissance jusqu’à la mort, même la mort sur la croix.
9 C’est aussi pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom///
10 afin qu’au nom de Jésus chacun plie le genou dans le ciel, sur la terre et sous la terre
11 et que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.
12 Ainsi, mes bien-aimés, vous qui avez toujours obéi, non seulement quand j’étais présent, mais bien plus encore maintenant que je suis absent, mettez en œuvre votre salut avec crainte et profond respect.
Ces instructions de l’apôtre Paul nous appellent à une grande humilité : considérer les autres comme plus importants que nous-mêmes. Il nous demande de chercher l’intérêt des autres avant le nôtre.
Le verset 5 est très puissant : « Que votre attitude soit identique à celle de Jésus-Christ. » Paul nous invite à adopter l’attitude même de Jésus.
Et au verset 7, il nous montre jusqu’où Jésus est allé : il s’est dépouillé de sa condition divine. Un exemple incroyable d’humilité et de don de soi.
Ce passage est un texte de Noël par excellence. Dieu le fils était de condition divine, il était l’égal de Dieu, mais il a décidé pour un temps de mettre de côté ses avantages divins pour devenir un homme.
Jésus n’a pas cessé d’être Dieu en venant sur terre, mais il a renoncé à tous les privilèges qu’il avait en tant que Dieu. Il a fait des miracles, mais uniquement pour les autres. Ce dépouillement est un acte d’amour pur.
Dieu n’est pas resté là-haut sur son trône à regarder le monde se perdre. Il a tellement aimé le monde qu’il est venu pour nous sauver.
Parmi toutes les visions du monde, le christianisme est la seule croyance qui annonce un Dieu qui s’est fait homme. Dieu s’est donné pour nous, il est devenu homme et a rétabli une relation, une alliance, avec l’humanité.
Nous sommes appelés à prendre exemple sur lui. Ce qui est intéressant, c’est que l’apôtre Paul nous invite à prendre modèle sur le Christ dans un passage où il parle de l’unité de l’Église et de l’humilité à avoir les uns envers les autres.
Qu’est-ce que cela signifie pour nous ?
Faut-il se dépouiller financièrement pour faire fonctionner l’Église ? Je ne pense pas que l’apôtre parle ici de l’aspect matériel. Bien sûr, pour les frais communs, nous avons besoin d’argent et la communauté est sollicitée, mais ce n’est pas le cœur du passage.
Lorsque Paul nous invite à nous dépouiller comme le Christ, il nous invite à faire passer le bien commun, l’unité et la croissance spirituelle de l’Église avant nos intérêts personnels.
Paul ne s’adresse pas seulement aux responsables de l’Église, il parle à tous les chrétiens. Nous sommes tous responsables les uns des autres, et nous avons tous un rôle dans l’édification de la communauté.
Paul nous invite à ne pas chercher d’abord nos propres intérêts, mais ceux des autres.
Concrètement, dans l’Église, nous sommes invités à mettre de côté ce que nous pourrions considérer comme des droits ou des avantages, afin de chercher l’intérêt de l’autre et l’intérêt commun.
Je prends un exemple simple. Chaque dimanche matin, nous avons un président de culte, qui introduit le culte, qui partage quelques textes, quelques réflexions et qui propose des chants.
Quand je parle de notre Église de Gaubert à d’autres chrétiens, beaucoup sont surpris – agréablement surpris – d’apprendre qu’avec nos 53 membres, nous avons 17 personnes engagées dans les présidences de culte. Ce n’est pas rien ! Ce n’est pas facile de se lever devant tout le monde, de prendre la parole, de partager une réflexion édifiante, et parfois même des moments de vie personnelle. C’est une vraie responsabilité.
Dimanche après dimanche, nous sommes reconnaissants envers celles et ceux qui acceptent de le faire.
Cela dit, il peut nous arriver, peut-être, parfois, de critiquer et de revendiquer. « Il n’a pas bien articulé », « elle n’a pas été assez expressive », « il n’a pris que des vieux chants », « elle n’a pas tenu comme il faut le micro »…
Si l’on pense uniquement à soi, tout peut devenir une source d’insatisfaction. On se focalise sur nos attentes et nos droits : un culte qui correspond exactement à ce que l’on veut selon nos propres critères.
Mais si l’on choisit de penser autrement, si l’on décide d’encourager celui ou celle qui prend la parole et de soutenir cet esprit de partage dans notre communauté, alors notre état d’esprit changera.
On peut toujours faire des retours pour l’aider à s’améliorer. Mais ces retours seront accompagnés de paroles d’encouragement.
Je connais un pasteur qui est devenu pasteur parce que dans son Église il faisait des présidences de culte et les membres l’ont encouragé à prendre davantage la parole. Ensuite, il a commencé des études de théologie pour devenir pasteur alors qu’il avait déjà la cinquantaine. Aujourd’hui il est à la retraite, mais il reste marqué par cette expérience positive.
À l’heure où la France fait face à un manque de pasteur, cet exemple nous encourage à avoir des paroles qui rendent service, plutôt que des paroles dissuasives.
Un jour, j’ai participé à une célébration dans une Église avec beaucoup de monde. À la sortie, une dame âgée, qui a des problèmes d’audition, m’a dit ceci : « je n’ai rien entendu, mais je suis tellement contente d’avoir vu des jeunes prendre la parole au culte. »
Lorsque nous donnons la parole à des enfants ou des jeunes dans l’Église, c’est aussi une manière d’encourager et de susciter des futurs présidents de culte, des futurs prédicateurs, des futurs pasteurs.
Si l’on ne peut pas donner la parole à un enfant parce qu’on ne l’entend pas, si l’on ne peut pas donner la parole à un adolescent parce qu’il n’articule pas bien, si l’on ne peut pas donner la parole à un jeune adulte parce qu’il ne choisit que des chants récents, alors qui va prendre la relève demain ?
Ce qui compte, est-ce mon droit d’avoir un culte selon mes attentes, ou est-ce de regarder plus loin et plus large ?
L’apôtre Paul nous exhorte vivement à penser davantage aux besoins de la communauté qu’à nos propres intérêts.
De manière générale, nous savons ce qu’il y a à faire. Oui les personnes âgées devraient être plus visitées, les personnes nouvelles mieux accueillies, les plus jeunes mieux accompagnés, les anciens plus respectés, les parents d’enfants mieux compris, etc.
Nous pourrions tous légitimement être en attente de quelque chose et faire valoir des droits. Et effectivement, il faut reconnaitre que l’Église a encore beaucoup de progrès à faire sur beaucoup d’aspects.
Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut plus faire de critique. Les critiques utiles sont toujours bonnes pour progresser, mais ce sont nos intentions que nous pouvons questionner. Mon intention est-elle de revendiquer ou est-elle de rendre service à toute la communauté ?
Nous avons tous des attentes envers l’Église, mais n’oublions pas que l’Église, concrètement, c’est vous et moi. Et le texte de ce matin nous appelle à prendre exemple sur le Christ qui a choisi de ne pas faire valoir ses droits divins.
Ce texte pose tout de même question.
Un chrétien est-il donc enfermé dans une sorte d’esclavagisme ? Est-il appelé à refouler ses désirs pour seulement servir les autres ? Un chrétien est-il appelé à ne jamais exprimer des attentes vis-à-vis de la communauté ?
Si c’est cela, être chrétien, alors c’est bien triste. Mais ce n’est pas ce que le texte nous demande.
L’apôtre Paul nous encourage à ne pas penser que notre avis et notre point de vue valent plus que ceux des autres. Mais nous avons le droit d’avoir des besoins et de les exprimer.
Ailleurs dans la Bible, nous sommes encouragés à prier les uns pour les autres et à partager nos besoins avec la communauté. Cela montre l’importance de la communication. L’Église doit être un lieu où chacun peut parler librement, partager ses joies et confier ses sujets de prière.
Lorsque dans une communauté, chacun pense d’abord aux autres, alors tout le monde est à la fois serviteur et également au bénéfice du service des autres.
Pour conclure, j’aimerais revenir sur mon passage à Paris cette semaine
L’étudiant ivoirien que j’ai croisé demandait de l’aide aux passants, mais personne ne s’arrêtait. Chacun semblait absorbé par son emploi du temps, ses préoccupations. Cela m’a fait réfléchir, car nous aussi, en cette période d’hiver et de fêtes, nous pouvons être pris dans nos propres soucis ou réjouissances.
Certains d’entre nous profiteront de moments chaleureux en famille, tandis que d’autres, peut-être, vivront ces jours différemment, avec des préoccupations ou des épreuves. C’est pourquoi je nous encourage à être attentifs à ceux qui traversent des moments difficiles.
Le message du vrai Noël se trouve dans l’enseignement de notre texte aujourd’hui. Jésus s’est dépouillé en venant sur terre, il s’est donné entièrement pour ses frères et sœurs. Prenons exemple sur lui : soyons attentifs, aimants, et présents pour nos frères et sœurs.